Accueil > Des documents > Qu’est-ce qu’il dit, Michel ? > Le bruit ?
Le bruit ?
Chronique du 27 décembre 2009
samedi 7 septembre 2013
Si on lui dit « bruit », il se met en marche et nous fabrique, des mots, des mots...
Des phrases
On l’écoute ?
Trop vite ?
Pour rester dans une atmosphère de fête, parlons aujourd’hui du bruit. Le bruit, c’est souvent le bonheur, c’est la vie. Le monde du silence est chargé d’angoisse. Le bruit, c’est la musique, la douceur des paroles et la poésie, c’est le son familier d’un outil ou du vent dans les branches. Nous avons besoin du bruit. Mais le bruit, c’est aussi l’agression, la foule ; ça peut être obsédant, ça peut tuer ou rendre malade. C’est donc aussi un mal de notre époque, où le bruit de fond, parfois comme un parasite, nous cerne sans relâche, nous cassant les oreilles. Michel, entre ces deux visions du bruit, laquelle choisissez-vous ?
Le choix est intéressant et difficile à formuler. La litanie par laquelle vous avez commencé, je pourrais la reprendre en disant que le bruit, c’est le non-sens, c’est l’inverse de la musique. On pourrait dire aussi que le bruit, c’est l’ordure de la musique et qu’au contraire, le silence est ce qui permet l’extase, la pensée, la réflexion. On pourrait même dire que notre vie a besoin du bruit de fond - notre organisme est tout le temps en train de produire du bruit de fond. Et cependant, ce bruit-là n’a pas de sens, le seul bruit qui fasse du sens, c’est la parole, c’est la musique, mais ni la parole ni la musique ne sont du bruit... Il faut donc bien réfléchir et essayer de penser le bruit alors qu’il n’a pas de sens ! J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir sur ce point extrêmement intéressant - donner du sens au non-sens. J’ai cru pouvoir en donner dès lors qu’en écrivant Le Mal propre, je me suis aperçu que polluer - puisque l’on parle de pollution à propos du bruit -, c’est s’approprier. La pollution par le bruit équivaut alors à la pollution par le sale : celui qui fait du bruit...
... pollue les autres.
... s’approprie l’espace. On parle souvent du bruit que font les techniques, on accuse ces dernières, on accuse les productions des hommes, mais on n’essaie pas de voir pourquoi on fait du bruit. Comprendre cela est essentiel. J’ai tenté de le comprendre
en partant des bruits les plus forts. Le canon, par exemple : le bruit du canon terrifie et annonce le vainqueur. Avec le Te Deum, on tirait d’ailleurs au canon pour célébrer la victoire. La cloche, le muezzin annoncent l’appropriation de l’espace par le religieux - Georges Dumézil disait qu’autrefois nos sociétés étaient d’abord organisées par les prêtres, puis organisées par les guerriers.
Dans les deux cas, à cause du bruit.
Dans les deux cas, c’est Stentor qui gagne. Le vainqueur, le plus fort, s’approprie l’espace et le bruit a alors du sens.
C’est un outil...
... d’appropriation, réellement. Maintenant que nous sommes dans le règne de l’économie, on peut de nouveau comprendre le bruit. Les bruits les plus forts aujourd’hui sont ceux des techniques les plus chères : les hélicoptères, les avions
font un bruit d’enfer.
Les autoroutes, les voitures, les trains ?
Les voitures font beaucoup moins de bruit que les hélicoptères ou les avions, qui gagnent haut la main le concours de décibels. Et ceux qui gagnent, ce sont toujours les plus riches, les plus forts. C’est toujours le canon, c’est toujours la cloche, c’est toujours le muezzin. Là, je peux rentrer dans le détail. Dans le TGV, je suis toujours stupéfait des hommes d’affaires qui téléphonent sous le panneau « voiture silence », et je voudrais leur dire qu’ils font du bruit, en effet.
Il n’y a pas que les hommes d’affaires qui sont sans gêne.
C’est un phénomène que l’on rencontre avant tout en première. Et les étrangers qui sont dans le wagon disent qu’ils ne feront plus des affaires avec les Français, parce qu’on ne peut pas signer un contrat avec quelqu’un qui se moque aussi visiblement
du droit. Quant aux deux-roues qui font tant de bruit...
Ils ne sont pas conduits par des hommes d’affaires !
Bien entendu. Les deux-roues propagent l’ego de la crise d’originalité juvénile. L’adolescent a besoin d’occuper l’espace pour affirmer sa personnalité. On en revient à la même analyse : on occupe l’espace pour se l’approprier. Et si on terminait par les
talons aiguilles ? Oh, c’est délicieux, les talons aiguilles.
Il y en a de moins en moins.
C’est terrible : il y en a de plus en plus ! Ces talons aiguilles qui donnent des coups de marteau sur la tête des passants... Les femmes prennent le pouvoir, occupent l’espace. Avez-vous quelquefois été hospitalisé, contraint d’entendre quotidiennement ces coups de marteau donnés dans les couloirs ? Non, ce n’est pas la féminité qui s’annonce de loin, c’est la virago autoritaire et sadique, qui vous donne des coups
de pied sur la tête ! Je voudrais finir sur un point : moi qui fais du bruit à France-Info tous les dimanches, c’est terrible de penser cela, mais moi aussi, j’occupe l’espace ! Chers auditeurs, j’essaie de me faire pardonner, par le sens de ce que je dis, le bruit de ma parole et de ma voix. Le bruit part toujours d’une origine, en particulier de quelqu’un. Celui-là cherche à dominer l’espace. Le silence n’a ni origine ni source. Voilà pourquoi il est paisible et divin.